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24/07/2016

Dimanche, jour du Seigneur n° 19

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En hiver, l’Abbé S. se déchaussait pour réchauffer ses pieds à l’ouverture du four dont il avait rabattu la porte sur laquelle il appuyait ses talons.

C’était pas lui qui payait les boulets de charbon.

 

17/07/2016

Dimanche, jour du Seigneur n° 18

  

A l’approche du midi d’un des jours dominicaux, ma femme et moi passions à l’ombre du haut mur de l’église, du côté des marchands musulmans, lorsque brusquement tous les clapotements forains furent noyés dans un déluge de battements de cloches tout autour de nos têtes. A ne plus s’entendre parler.

 

- Il y va trop fort, le curé ! cria dans mon oreille mon épouse née dans une famille de vraie bourgeoisie pratiquante catholique.

 

Sûrement, oui, la prêtrise frappait trop fort. Et je m’amusais à supposer que le grand bruit des cloches secouées servait moins à célébrer l’office des fidèles qu’à faire s’écrouler le clocher.

 

Se rendre à la messe dominicale c’était obligatoire pour être bien accepté aux deux leçons de catéchisme en semaine. Me semble même me souvenir qu’il fallait faire pointer quelque carte de présence.

 

- Tu l’as oublié ta carte ?

- Ca ne risque pas. Ma mère l’a fourre dans ma poche et faut que je la lui rende à mon retour.

- Que tu lui rendes ta poche ?

- T’es con ! … Dis, on va faire une partie de baby-foot à la sortie ?

- Impossible ! j’ai failli prendre une raclée l’autre dimanche quand je suis rentré en retard qu’ils m’attendaient pour commencer à bouffer l’entrée de céleri-tomates.

 

A l’approche de la fin de la messe, tout le monde devait chanter l’allégresse d’être chrétien. Surtout catholique. Je ne me rappelle plus les paroles mais quelques unes surnageaient comme un refrain :

 

Je suis chrétien

Voilà ma gloire

Mon espérance et mon soutien.

 

Pour mon copain du moment et pour moi ce chant religieux correspondait vraiment à une délivrance : il annonçait la fin d’une heure d’ennui.

 

Nous allions nous retrouver libre dehors, sous le ciel, DANS le ciel, avec de véritables nuages. Nous allions échapper à la surveillance des statuettes en plâtre peint dont chaque visage fermé comme une serrure de geôlier épiait nos mouvements y compris les plus discrets. Surtout les mouvements de nos lèvres. Car assez rapidement une des phrases religieuses chantées par l’assemblée, se trouvait déformée, ici ou là, par quelques langues enfantines irrespectueuses. Le « Je suis chrétien » était trahi en un « Je suis crétin ».

 

C’était tellement facile.

 

- Tu crois que le curé il nous a repérés ?

- Mais non ! Mais non ! Il a autre chose en tête ! Il va aller manger dans la famille de la Grande Boucherie Charcuterie de la Place, où qu’il est invité  tous les dimanches. Y paraît que leur fils veut faire le séminaire.

- Le quoi ? Comment tu sais ?

- Je le sais c’est tout. Allez, bye ! Je cours en avant pour m’éviter une engueulade.

 

Ryal

 

 

03/07/2016

Dimanche, jour du Seigneur n° 17

 

Afin de gagner le droit de « faire la Communion Solennelle » il me fallait préalablement passer par le confessionnal. Une forme de grande boite sombre posée dans un coin de l’Église, où j’avais entrevu des adultes chuchotant je ne savais pas quoi de mystérieux.

 

J’ai questionné Maman après qu’elle m’eut mouillé les cheveux pour mieux arranger ma tignasse au-dessus des oreilles :

 

- Qu’est ce que t’as dit, m’man, toi, comme tes péchés avant ta communion ?

 

- Bouge pas la tête, t’as des épis ébouriffés dans ta chevelure. J’ai tort de céder à ton caprice que tu veux laisser pousser tes cheveux. J’en reçois des réflexions des voisines : il a l’air d’un petit bohémien ! Tu penses si c’est agréable ? … Ma confession, si tu crois que je m’en souviens ! … Invente des trucs, débrouille toi. Tiens ! tu dis que t’as volé des ronds dans mon sac à mains pour acheter …

 

- Mais c’est pas vrai !

 

- Ça ne fait rien. Le principal c’est que t’aies l’air fautif. Tu n’oublies pas de dire que tu regrettes ta faute. Oh ! et puis tu m’embêtes ! … Ton père ne voulait pas que t’ailles chez les curés. Moi, ça m’était égal. Mais comme les gamins autour ils y vont au catéchisme, t’y vas comme eux.

 

Un samedi, en fin de journée, comme ça, a fallu que je m’y pointe sans précipitation « au confessionnal » où qu’il fallait avouer des péchés pour avoir le droit d’avaler l’hostie, le lendemain dimanche, jour de la grande Communion Solennelle.

 

Au retour de ma médiocre confession religieuse, trois ou quatre gamins s'étaient préparés à me moquer, rigolards. J’entendis une exclamation venir de loin : le v’là !

 

- Tu dois pas dire de gros mots, tu dois pas mentir, tu dois pas … sinon t’auras pas le droit de faire ta communion.

 

Ils m'entouraient, rivalisant entre-eux à celui qui réussirait à me rendre coupable d'un péché véniel.

 

- Dis : merde.

 

- Qu’est ce que t’as raconté au curé ? Tu lui as avoué que tu mens tous les jours ?

 

- Oh ! Fichez moi la paix ! On devrait jouer aux osselets.

 

- Tu lui as dit comment que tu déculottes les filles dans le ruisseau des Étourneaux ?

 

- Hein ? Vous déconnez. Vous m’emmerdez à la fin !

 

- Ça y est ! Il a commis un péché ! Ça y est !

 

Le plus costaud enroula son bras tôt musclé autour de mon cou (on va le punir de ne pas être bon chrétien). Et, de son autre bras armé d’une main, il me tordit le nez comme pour finir d’arracher le bouchon d’une bouteille de champagne. J’essayais de me dégager en appliquant, tout en souplesse, une deuxième de hanche de judo enseignée dans la salle des sports du Quai Louis Blanc. Mais la prise ne fonctionnait jamais au réel aussi bien qu’elle fonctionne en démonstration.

 

La bousculade virait vinaigre, je vous assure.

 

Heureusement, mon Père arriva sans que j’eus à prier pour qu’il arrivât. Il descendit de sa haute bicyclette dont il disait : « C’est le cheval des ouvriers », et nous cria dessus.

 

- Arrêtez les gars ! Pas de castagne entre copains de la rue ! … Allez plutôt mettre des grosses pierres en travers du ruisseau pour que les grands-parents puissent aller voir leurs morts au cimetière sans avoir à faire un détour par la Miscailloux !

 

La Miss Caillou ? Le quartier de Mademoiselle Caillou. J’en reparlerai.

 

Puis, papa s’adressa à son fils fruit des entrailles de son épouse : C’est encore toi qui as cherché la bagarre, je parie.

 

- Moi ?

 

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Deuxième de hanche.

Dessin par Hélène Tarel

Emprunté à l'ouvrage LE JUDO d'André Lehnert, 1952

 

Ryal

 

 

19/06/2016

Dimanche, jour du Seigneur n° 15

Une fois encore, nous montions à pied jusqu’à Lavault-Sainte-Anne. J’en retiens que la route n’était pas encore goudronnée ; mais, peut-être, ma mémoire faillible comme la vôtre mélange t’elle avec un autre trajet. Ce dont je suis certain, par contre, c’est que nous marchions en plein milieu de la chaussée, la rareté des voitures nous y encourageant.

 

Cinq kilomètres à pied, ça use ! Ça use ! …

 

- j’ai un caillou dans ma chaussure !

L’abbé « Gros Pif » s’était arrêté, jambes pliées à la saignée de ses genoux dont cet homme de foi faisait un emploi professionnel. Il délaça son soulier, le retourna en l’air, bien en vue. Un gravier en tomba, comme si ce gravier avait le mérite d’exister seul de son genre au monde.

 

- Il vous a fait mal M’sieur l’Abbé ?

- Moins que mes péchés, répondit le disciple de J.C.

 

Quatre ou cinq gamins avaient stoppé autour de la soutane meurtrie. Michel et moi avions continué pour nous joindre au groupe le plus nombreux, celui qui fonçait en avant depuis Montluçon.

 

Cinq kilomètres à pied, ça use ! ça use ! …

 

Michel et moi, faufilant notre tête entre les têtes qui nous avaient précédés, entendîmes une voix plus intense que nos bavardages : « Ça y est ! Il refait le coup ! ».

 

L’exclamation venait d’un garçon plus grand que nous et qui faisait office de surveillant. Cette hiérarchie se mesurait à la hauteur de sa jambe. Michel heurta son coude contre le coude du futur chef scout : « Quel coup tu dis, hein ? ».

 

L’autorité plus subjective qu’officielle de ce plus grand, on se racontait qu’elle lui venait de sa sœur plus âgée que lui : elle était cheftaine chez les Éclaireuses de France.

 

- Chez les Jeannettes ?

 

Un mot qui faisait jaillir des ricanements dans le mille pattes d’un troupeau d’hommes. Une jeannette, populairement parlant, c’était un bébé de zizi. « Si tu ne boutonnes pas bien ta braguette, on te coupera ta jeannette ».

 

Michel avait insisté dans sa question : quel coup tu dis, hein ?

 

Le grand avait répondu pour se donner de l’importance devant nous autant qu’il s’en donnait sans doute devant son miroir pendant la toilette. « Oh ! Vous verrez si vous revenez avec nous. On a l’habitude. On n’y fait plus attention. C’est un truc que l’Abbé a inventé pour parler des péchés qu’un bon chrétien ne doit pas faire. Allez ! Allez ! On avance ! Pas de tire au flanc !

 

Cinq kilomètres à pied …

 

Et le grand reprit quelque explication : t’as vu comment le lacet de son soulier était serré autour de la cheville ? Comment veux-tu qu’un caillou, il y entre dedans ? … C’est lui qui se le met dans son soulier pour se donner l’occasion d’un prêche qu’il fait croire qu’il improvise. Vous comprenez ?

 

Ce que nous comprenions c’était que nous venions d’augmenter notre vitesse de croisière pour nous mettre le plus tôt possible à l’abri. Le ciel descendait s’appesantissant bas de plafond. Bas et lourd. Bas, lourd : jeux de mot Maître Cappellot. L’espace en paraissait plus gros que grand. Augmentation de température … « Ça va tonner ! Quand c’est orageux, les mouches deviennent mauvaises : elles piquent ! » disait une de nos voisines engraissée de gourmandise et se grattant le gigot de la cuisse.

 

Nous parvînmes en désordre aux abords de la vieille église de Lavault-Sainte-Anne. Les premières gouttes tombaient une à une, comme si Dieu dans son infini bonté nous accordait le temps de les compter. Elles s’éclataient en étoiles sombres sur le sol sec. D’elles, j’ai gardé la sensation sur mes bras nus : tièdes elles étaient.

 

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Ryal

 

 

12/06/2016

Dimanche, jour du Seigneur n° 14

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15/05/2016

Dimanche, jour du Seigneur n° 10

 

Additionnant nos âges, Collette et moi étions parvenus à 18. Neuf ans pour elle, neuf ans pour moi. Égalité, parité. Sauf qu’elle venait de novembre quand moi je venais de décembre et qu’à présent encore je viens toujours du dernier mois de l’année … Alors qu’elle, Collette, est partie définitivement depuis pas mal de tours de terre autour du soleil.

 

Fils unique que je suis, je n’enviais pas Colette dont la grande sœur …

 

- Dont la grande sœur ?

- Elle est assmatique. Elle a de l’assme. C’est pourquoi mes parents ne veulent pas qu’elle sorte jouer.

 

Cet asthme devait être carabiné : la grande sœur disparut avant d’avoir atteint 16 ou 17 ans, je ne sais plus précisément.

 

Je connaissais bien Colette. Je connaissais aussi mais en moins bien une Nicole. Colette, Nicole. Il devait y avoir quelque chose de collant chez nos amies les filles.

 

Tout en avançant, Colette et moi bavardions avec beaucoup de précipitation dans nos phrases. En somme nous rivalisions mais en toute sympathie à savoir lequel des deux serait plus plaisant à se faire entendre de l’autre.

 

Je me rappelle que nous étions stoppés en bordure du trottoir avant de traverser la rue longeant la « maison des curés ». Notre arrêt ne se motivait pas par le passage de bagnoles folles comme des têtes d’automobilistes. Il y en avait peu des voitures filant sur le macadam, lorsque des centaines d’ouvriers pédalaient dans le sillage du gazole des trois gros cars bleus de l’usine Dunlop.

 

Brusquement, inattendue, une voix sans visage arrêta nos battements de langue :

 

- C’est ta sœur ? Non ! c’est ton frère ? Non !

 

L’Abbé C. venait d’apparaître. Nous ne l’avions pas vu tomber du ciel. Il atterrissait devant nos quatre sandales qui nous faisaient le pied plat. Et sa parole d’évangile se fit autoritaire. « Vous n’habitez pas au même endroit. Vous n’avez donc rien de bien à faire ensemble ».

 

C’était un jeudi. Colette et moi sortions du catéchisme, elle de chez les filles et moi de chez les hommes du futur. Une heure que la leçon avait duré ! Une heure qui me paraissait pleine d’au moins cent quatre vingt minutes. Et c’est long une minute qui s’attarde pendant trois minutes.

 

L’Abbé C. nous rappela aux bonnes mœurs journalières d’une grande grande ville comme Montluçon, et que nous devions les respecter jusque dans la petite petite ville populaire de Gozet

 

- Toi (c’était moi), tu pars devant, et toi (c’était elle) tu resteras en arrière jusqu’à ce qu’il ait tourné l’angle de la rue.

 

Tourner l’angle de la rue ! En voila une idée semblable à celle exprimée par ma mère en début de repas : si tu ne veux pas de la couenne, tu la mets dans le coin de ton assiette.

 

Comment repérer le coin d’une assiette toute ronde ?

 

Cette journée du jeudi, je ne revis pas Colette.

 

Quand elle fut à nouveau visible, elle se dirigeait vers l’École de la République, rue de la République. Pour y parvenir, elle devait passer devant l’autre école, l’école Voltaire, celle des garçons, rue Voltaire. Il y avait de l’ordre la-dedans.

 

Colette marchait sur le côté droit de la rue, respectant ainsi un des aspects du bel ordre public : les filles allaient sur le trottoir de droite, les garçons sur celui de gauche, en direction des deux écoles où la mixité était interdite. Au retour, les deux trottoirs, sans changer leur emplacement, changeaient de désignation : de droite l’un devenait de gauche pendant que de gauche son vis à vis devenait de droite. Les deux trottoirs échangeaient politiquement leur veste. Ça aussi, c’était de l’ordre, assurant sans doute l’inclinaison de la planète sur son axe.

 

Mais qu’est ce qui empêchait le garçon se rendant auprès de l’instituteur, de marcher sur le côté habituel aux filles ?

 

- Pour être taxé de « Jean la fille » ? Merci bien.

 

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Ryal